mardi 12 mai 2009

10.4.09

Allez au bar du théâtre. Vous la verrez. Elle est au zinc devant un café ou à une table en train de déjeuner parmi sa bande. Elle parle. Elle parle 80% du temps, les autres se débrouillent avec ce qui reste. Elle poursuit des centaines de conversations, celles entamées depuis la nuit des temps et qui durent : l’un, l’autre, comment tu vas, les gendarmes étaient encore au carrefour de la gare hier soir… Elle a l’œil partout. Elle vous regarde direct et l’instant d’après baisse les yeux comme une petite fille. Elle a le franc-dire et le parler-haut. Elle est toujours partante. Elle arrive et elle s’en va par la porte côté cour. A la revoyure, Wowol !

Le cinéma de Pont-l’Eveque, le Concorde, porte bien son nom. Lieu inouï. En ce moment se déroule le festival du film d’animation. Tout est gratuit, c’est-à-dire offert par la mairie. Un jury d’enfants décerne un prix en fin de semaine. La salle est pleine : mômes, parents. A la fois ça bruisse, à la fois ça écoute avec une attention surprenante. Monsieur Leforestier présente le film du moment au micro : technique 3D avec lunettes en carton pour voir le relief. En avant, c’est parti : voilà trois mouches en direction de la lune.Je me régale. De la séance. De l’ambiance. Je me régale du plaisir du patron. Faire partager la passion qui l’anime avec une générosité toujours neuve. Précieux. Tellement précieux par les temps qui courent.

7.4.09

La partie ancienne du cimetière me fait penser à une mer agitée. Rien n’est droit. Les tombes ont de la gîte. Les fondations penchent, s’effritent, parfois s’effondrent. Toutes sont de guingois. Les racines ont soulevé les dalles. Le gel a fissuré la pierre. Des croix perdent une branche. D’autres sont couchées, brisées en plusieurs morceaux. La houle gagne le granite. La mousse brune constellent les stèles. Des lichens jaunes d’or fusent comme des tâches d’aquarelle. C’est à se demander si ce ne sont pas les morts qui bousculent la caillasse à la recherche d’air et de liberté et qu’à force d’opiniâtreté ils y parviennent. Les morts aiment les étoiles.

Cimetière


6.4.09

Je me rappelle, il y a 20 ans, je dînais dans une pension de famille à Porta dans les Pyrénées. Un enfant unique se débattait entre père et mère à la table voisine. Une discussion serrée. Les parents tour à tour jouaient les alliés. Enfant seul sans personne pour aller contre, il bénéficiait de temps en temps du soutien d’un parent face à l’autre.
Aujourd’hui, je suis dans un restaurant de Pont-l’Evèque. Une enfant de 11 ou 12 ans dîne avec ses deux parents. Le plat de résistance est fini. Elle en a laissé une bonne partie dans l’assiette. Elle joue sur son téléphone portable. Les parents parlent entre eux. Les mondes sont séparés. Il n’y a pas de discussion. Il n’y a plus de question. L’enfant unique est seul. Les parents sont seuls. J’ai écrit dans un premier mouvement « définitivement » seuls. Exagéré sans doute mais c’est ce que je ressens.
Cette absence de question me terrifie. Absence de question, absence de questionnement. Chacun reste sur sa position, sur ses gardes, dans sa forteresse perso. C’est à l’image de notre univers actuel. Ça se parle sans s’écouter. Ça se parle non pas dans le but d’échanger ou d’évoluer mais d’utiliser le possible dévoilement de l’autre, une faiblesse éclairée en quelque sorte, pour asséner sa propre vérité, pour le coincer, pour démontrer combien on a raison… Alors plus personne ne se dévoile, c’est-à-dire n’expose son questionnement, sa fragilité.
Boule de neige.
Quand le président se déplace, il monopolise des hordes de CRS pour que justement les questions ne viennent pas à lui, pour que justement nulle faiblesse n’apparaissent. Où que ce soit. Attitude arrogante qui évidemment engendre la violence. Oui, le président peut être faible. Faible momentané. Comme nous tous. Nous sommes faibles momentanés car nous sommes humains. Sinon, à l’aune du président, nous sommes notre propre pantin.
Le pire, c’est qu’il n’est pas le seul en cause dans cette « marionnettisation ». Le monde que nous fabriquons, symbolisé par le portable, amplifie le penchant au repli sur soi.
Il sépare.
Il rigidifie.
Il cloisonne.
Il isole.
Il attise l’agressivité puisqu’il éloigne de l’autre.
Plus la vie nous fuit, plus l’agitation nous gagne.
S’il vous plaît, engagez la conversation avec votre voisin, surtout s’il paraît à mille lieux de votre monde. Engager veut dire s’engager, donc se livrer, c’est-à-dire ne pas cacher sa fragilité, ses faiblesses, ses questions, les vraies, pas les ersatz… et là encore, je pense au président.

Distillerie 1