vendredi 13 mars 2009

2 mars, 12h 53, sortie de l’autoroute, direction Lisieux, plusieurs ronds-points, paysage terre et paille, ciel bleu.
Arrêt déjeuner, menu 11 euros, le village s’étire le long de la nationale, élastique urbain, camionnettes en série sur le parking.
J’entre.
Une dame à la silhouette en tuyau de poêle m’indique « la table au fond où il y a deux messieurs ».
Je traverse la salle. Je découvre les deux messieurs côte à côte qui regardent la télévision dans la direction d’où je viens : l’un, mince, chemise verte et cravate mordorée, bouche en trait d’union, cheveux mi-longs plaqués ; l’autre, agriculteur ou maçon ou les deux, les cinq doigts de la main comme des pouces, trogne rouge, regard bleu turquoise.
Je m’assieds face au deuxième.
Je les salue.
Ils répondent poliment et retournent à la télé, une émission animalière, semble-t-il.
J’ai l’impression qu’ils s’y accrochent.
Une bouée.
Je fais irruption, juste sous leur nez, ça déchaîne des vagues : tempête sur la nappe en papier. Se taper le visage d’un inconnu, là, à cinquante centimètres…
Une bouée.
Je commande.
Ils mastiquent : l’un une bavette, l’autre une tarte. Silence. La télé occupe l’espace son, l’espace regard, l’espace angoisse.
L’ouvrier paysan bâtiment m’intrigue. Derrière la stature et la mine fermée en accent circonflexe, on sent les lézardes. Je pense à un vieux mur.
Bien que je sache la réponse, je lui demande : Lisieux, ça fait combien ? Dix ? Quinze kilomètres ? Il prend un temps de réflexion, la question est d’importance, puis répond :
- Bien quinze ah oui.
C’est tout ce qu’il dit. Voilà sa mine qui à nouveau pointe l’écran.
Il finit son dessert.
Il se lève.
Il murmure un au revoir.
Il s’en va.
Lui, j’aurais bien peint sa gueule.
Mon attention alors se reporte sur l’autre type situé en diagonale. Ses lunettes carrées lui donnent un air de voyageur de commerce. Je me mets à l’interroger : est-il de la région ?
- Non.
- D’où ?
- Sotteville-les-Rouen.
- Ah.
- Oui.
- Hon hon.
- C’est à côte de Rouen.
- Ah.
- Oui.
- Hon hon. Et vous travaillez dans quoi ?
- Informatique. Technicien sur les imprimantes.
Je m’exclame :
- Les gens comme vous sont précieux.
- Oh non, répond-il. Oh oui, corrige-t-il la seconde suivante.
Il rougit, je crois, à moins que ce ne soit une illusion.
La conversation s’engage : le métier, la crise, le chômage, le gouffre des banques, actualité oblige… Soudain les milliards d’euros tourbillonnent au-dessus de la table, font des loopings, s’échappent, reviennent, s’envolent à nouveau et disparaissent, définitif. Ah le paradis !
- Je n’ai pas trop d’opinion, confesse mon interlocuteur à plusieurs reprises. Il faudrait les chiffres.

Aucun commentaire: